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Née de parents modestes, Léonie Bathiat passe ses premières années à Courbevoie puis, pour raisons de santé, à Clermont-Ferrand, et enfin à l'institution Marinois de Puteaux. En 1914, elle perd son premier amour lors des premiers combats de la guerre, puis son père en 1916, la contraignant à exercer comme tourneuse d'obus ou sténo. En 1917, elle rencontre Jacques-Georges Lévy, puis le marchand de tableaux Paul Guillaume qui l'introduisent progressivement dans le beau monde parisien où elle devient mannequin puis chanteuse d'opérette au cours des années folles, adoptant le pseudonyme d'Arletty.
Au tournant des années trente, elle débute au cinéma et inspire nombre de peintres comme Marie Laurencin, Moïse Kisling, Fujita ou encore Jean-Gabriel Domergue, tout en connaissant le succès au théâtre. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, son personnage gouailleur et canaille, sa silhouette particulière et sa voix unique sont présents dans nombre de films devenus depuis des classiques.
Après la parenthèse de la drôle de guerre et de la bataille de France, qui interrompt les tournages, Arletty décide de rester à Paris et de reprendre le cinéma. Elle tourne six films entre 1941 et 1943, dont les Visiteurs du soir ainsi que les Enfants du paradis, tous deux de Marcel Carné, sur des dialogues de Jacques Prévert. Néanmoins, son amitié avec Josée de Chambrun, fille du collaborateur Pierre Laval, et surtout sa relation sentimentale avec le lieutenant-colonel allemand Hans Jürgen Soehring, membre de la Luftwaffe et homme de confiance de Goering à Paris, la placent dans une situation délicate à la Libération. Cette relation entraîne son arrestation par les FFI le 20 octobre 1944. Elle est internée à Drancy, puis à Fresnes, et placée en résidence surveillée durant 18 mois.
Blâmée par le comité d'épuration, avec interdiction de travailler pendant trois ans, Arletty reprend sa carrière dans les années 50, au théâtre surtout. L'âge venant, les films qu'on lui propose sont alors, de son propre aveu, surtout alimentaires. Cela ne l'empêche nullement de côtoyer le tout Paris de l'après-guerre, comme Louis-Ferdinand Céline, Jean Cocteau, Jean-Paul Sartre ou encore Colette.
Lors de la décennie 1960, elle cesse progressivement les tournages (1963), et le théâtre (1966), perdant peu à peu la vue. Néanmoins, sa voix unique lui permet d'être la narratrice de courts-métrages ou de documentaires, et elle reste une personnalité médiatique qui ne se départit jamais de sa gouaille légendaire. En 1988, quelque 2000 personnes célèbrent avec elle ses 90 ans.
Biographie
Jeunesse
Léonie Bathiat raconte, dans son livre La Défense, qu'elle est née à Courbevoie, 33, rue de Paris, « dans un rez-de-chaussée sombre éclairé par le sourire de mes parents ». Elle est la fille de Michel Bathiat, ajusteur-tourneur pour les tramways de Paris, et de Marie Marguerite Philomène Dautreix, lingère. Elle a un frère aîné, Pierre. Selon son biographe Michel Souvais, les Bathiat descendaient de l'épistolière Miette Tailhand-Romme, nièce du conventionnel auvergnat Gilbert Romme, auteur du calendrier républicain ; « une miniature d'Andreï Voronikhine témoigne également de l'étonnante ressemblance d'Arletty avec son aïeule du temps de 1789 ». Ironie du sort, son père est illettré.
Souffrant de problèmes respiratoires, elle est mise en pension à l'âge de quatre ans et demi dans la ville de sa famille paternelle, Clermont-Ferrand. Elle reçoit une éducation religieuse dans l'institution privée Sainte-Thérèse jusqu'en 1910.
Elle poursuit ses études à Puteaux à l'Institution Martinois. Le secrétariat étant alors pour les femmes un métier d'avenir, elle étudie la sténographie chez Pigier.
Elle a 16 ans quand la guerre de 1914 fauche sur le champ de bataille son premier amour, qu'elle avait surnommé « Ciel » à cause de la couleur de ses yeux. Ce drame est à l'origine de sa promesse de ne jamais se marier pour ne pas être veuve de guerre.
Son père, promu chef de traction, meurt le , écrasé par un tramway. De ce fait, Léonie, son frère et sa mère n'ont plus droit de résider dans le pavillon affecté aux employés des tramways de Paris. Ils trouvent refuge chez une tante, dans le Marais. Léonie travaille pour aider les siens. Elle sera tourneuse d'obus, dactylo ; pas longtemps.
Débuts dans le monde
En 1917, elle rencontre Jacques-Georges Lévy sur la plate-forme d'un autobus. Ils ont le même âge. Il est banquier, suisse et juif : elle le surnomme « Edelweiss ». Pygmalion dans l'âme, il fait son éducation culturelle. Il lui apprend à se tenir à table, lui fait lire Proust, l'emmène au théâtre ; il lui montre le Mont Blanc et lui fait visiter Venise. Il lui fait découvrir les grands couturiers, les bons restaurants et la haute société parisienne. Sa mère la réprouve ; blessée, elle rompt avec sa famille et emménage dans la villa du 18, avenue Alphonse-de-Neuville, à Garches. Ils ont pour voisins Coco Chanel et André Brulé. Mais Arletty ne veut pas se marier. Ils se quittent bons amis.
Elle rencontre ensuite le marchand de tableaux Paul Guillaume — l'ami de Picasso, Modigliani, Soutine — qui la recommande à Armand Berthez, directeur du théâtre des Capucines. Un temps mannequin chez Poiret, sous le pseudonyme d'Arlette (prénom choisi dans le roman Mont-Oriol de Maupassant), Berthez anglicise son nom en Arletty pour mener les revues de Rip, où la fantaisie et le luxe sont de mise, et chanter, dès 1928, dans les opérettes de Maurice Yvain comme Yes, Gabaroche, Azor (1932), de Raoul Moretti (Un soir de réveillon, 1932), et de Reynaldo Hahn (Ô mon bel inconnu).
En 1928, elle rencontre l'homme d'affaires de bonne famille Jean-Pierre Dubost, qui restera son fidèle compagnon.
Dans le même registre, elle incarne Marie qu'a-d'ça dans Circonstances atténuantes (1939) de Jean Boyer, auprès de Michel Simon où elle lance, gouailleuse : « Pas folle, la guêpe ! » Elle enregistre la chanson de ce film, Comme de bien entendu et de nombreuses ritournelles de ses revues ainsi que La Java et Mon Homme, pour rendre hommage à sa grande amie Mistinguett.
Fin 1941, l'actrice est vue dans plusieurs réceptions parisiennes mêlant collaborateurs et personnalités allemandes, dont une soirée organisée en l'honneur de Hermann Göring. Arletty aurait dit à Michèle Alfa et Mireille Balin, qui avaient elles aussi comme amants des officiers allemands : « On devrait former un syndicat. » Arletty tombe enceinte. Elle avorte pendant le tournage des Enfants du paradis.
Au théâtre des Bouffes-Parisiens, elle joue Isabelle dans Voulez-vous jouer avec moa, une comédie de Marcel Achard avec Pierre Brasseur.
Après la guerre
À la Libération, en juillet 1944, Soehring lui propose de fuir avec lui. Arletty refuse. Le , elle est arrêtée, non pour fait de collaboration, mais en raison de sa liaison affichée avec Hans Jürgen Soehring. Elle est internée quelques jours à Drancy, puis quelques semaines à Fresnes, avant d'être astreinte à la résidence surveillée pendant 18 mois. Prise à partie par l'un des FFI lors de son arrestation, elle répond : « Si mon cœur est français, mon cul, lui, est international ! », phrase qui lui avait été suggérée par Henri Jeanson, mais qui est peut-être apocryphe. Elle répond à une détenue qui lui demandait des nouvelles de sa santé : « Pas très résistante »,. Elle parle de sa propre situation en ces termes : « Après avoir été la femme la plus invitée de Paris, je suis la femme la plus évitée. »
Symbolisant la « collaboration horizontale », elle aurait répondu à ses juges : « Si vous ne vouliez pas que l'on couche avec les Allemands, fallait pas les laisser entrer ».
Lorsqu'elle est libérée, on lui conseille de quitter la capitale. Elle trouve refuge pour dix-huit mois au château de La Houssaye-en-Brie chez des amis résistants. Son idylle avec l'officier allemand se poursuit secrètement ; ils passent Noël 1946 ensemble. Soehring la demande en mariage mais elle refuse, fidèle à sa promesse de jeunesse.
En 1946, le comité d'épuration lui inflige un blâme, assorti d'une interdiction de travailler pendant trois ans.
En 1949, elle se sépare de Soehring, qui se mariera en Allemagne.
En 1966, elle perd son frère ainsi que Jean-Pierre Dubost, son ami intime et unique compagnon de route malgré des « hauts et des bas ». Elle apprend qu'elle est atteinte d'un glaucome. Perdant partiellement la vue elle doit interrompre Les Monstres sacrés de Jean Cocteau au théâtre des Ambassadeurs. Elle disparaît de la scène et de l'écran, mais prête sa voix à des documentaires. À partir de 1984, elle soutient activement l'Association des artistes aveugles et sa présidente fondatrice Marguerite Turlure (qu'elle surnomme « ma Marguerite du Faubourg Saint-Martin », en ajoutant toujours : « Moi aussi je suis une fleur des faubourgs »), amie de longue date rencontrée par l'entremise de la chanteuse Renée Lebas. Jusqu'à sa mort, Arletty restera fidèle à l'Association des artistes aveugles, dont elle est pour toujours la présidente d'honneur.
En 1989, elle accepte la présidence d'honneur de l'association « Souvenance de cinéphiles », sise à Puget-Théniers.
Mort
Arletty meurt le à l'âge de 94 ans, dans son appartement parisien de la rue de Rémusat. Elle refuse toute cérémonie religieuse, mais le corbillard, lors de son dernier voyage, passe près du canal Saint-Martin et s'arrête devant l'hôtel du Nord, éponyme du film avec la célèbre réplique "Atmosphère, atmosphère". Elle est incinérée au crématorium du Père Lachaise et ses cendres sont inhumées dans le caveau familial du cimetière des Fauvelles à Courbevoie (division G extérieure, no 30).
Si son souvenir semble, pour beaucoup, indissociable de son rôle de « Mme Raymonde » dans Hôtel du Nord (1938) de Marcel Carné (« Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ? »), son interprétation de Garance dans un autre Carné, Les Enfants du paradis (1943) est souvent considéré comme son rôle le plus marquant et le point culminant de sa carrière d'actrice. Cette interprétation a parfois été qualifiée de « lumineuse »[réf. nécessaire], ce qui pourrait tenir tant au jeu de l'actrice qu'au traitement particulier des éclairages mis en place par Roger Hubert, directeur de la photographie du film.
Ces principaux films ont fait l'objet de censure étatique et seront interdits au Québec.
1987 : Arletty sur Seine, documentaire de Michel Ayats, dernière apparition d'Arletty, avec les témoignages de Micheline Boudet, Michel Souvais, Jean-Claude Brialy, Cartero
↑Né en 1908, il est, avant-guerre, magistrat et membre du parti nazi. Il s'engage dans l'aviation et devient officier dans la Luftwaffe. Il combat près de Monte Cassino en 1943. Après guerre, nommé en 1954 consul en Angola, puis consul de la République fédérale d'Allemagne à Léopoldville (aujourd'hui, Kinshasa) en République démocratique du Congo, il meurt noyé avec son fils dans le fleuve Congo le 9 octobre 1960.
↑Pierre Laval vu par sa fille: D'après ses carnets intimes, Yves Pourcher, Texto, Éditions Taillandier, 2014
↑Arletty raconte une variante de cette anecdote, en 1986, dans un entretien accordé au quotidien Présent. Arletty et Jean Cochet (propos recueillis par), « Une parenthèse heureuse dans le Front populaire (10) : Arletty, princesse du Septième Art », Présent, no 1156, , p. 4« Un matin, je suis reçue par un petit juge qui me toise avec arrogance et me demande sur un ton méprisant : « Alors, Bathiat, comment vous sentez-vous, ce matin ? » Et moi, du tac au tac, je lui réponds : « Pas très résistante, M. le juge. » Ce matin-là, j'étais contente de moi. »
↑Marie-Béatrice Baudet, « Le cahier bleu de Boudard », Le Monde, no 22257, , p. 17.
Article publié dans le cadre d'un feuilleton estival titré / Écrivains en prison », dont il est le quatrième volet (sur six). La version disponible en ligne (accès intégral pour les seuls abonnés) sur le site Lemonde.fr est titrée Les cahiers bleus d’Alphonse Boudard.
« Il y a deux ans, une correspondance de son mari avec Paul Chambrillon, fin connaisseur de Céline, ami d’Arletty et de Raimu, avait été achetée plus de 1 000 euros à l’hôtel Drouot. »
(it) Gianni Lucini, Luci, lucciole e canzoni sotto il cielo di Parigi - Storie di Chanteuses nella Francia del primo Novecento), Novara, Segni e Parole, 2014, 160 p. (ISBN978-88-908494-4-2)